La transformation d’une Société par Actions Simplifiée Unipersonnelle (SASU) en Entreprise Unipersonnelle à Responsabilité Limitée (EURL) représente une décision stratégique majeure pour l’entrepreneur. Cette démarche, loin d’être anodine, nécessite une compréhension approfondie des implications juridiques, fiscales et sociales qui en découlent. Contrairement aux idées reçues, il ne s’agit pas d’une simple formalité administrative, mais d’un processus complexe qui modifie fondamentalement la structure juridique de l’entreprise.
Les motivations pour effectuer cette transformation sont multiples : optimisation fiscale avec le passage potentiel de l’impôt sur les sociétés à l’impôt sur le revenu, modification du statut social du dirigeant qui passe du régime des assimilés salariés à celui des travailleurs non salariés, ou encore recherche d’une plus grande simplicité de gestion. Chaque année, plusieurs milliers d’entrepreneurs franchissent le pas, attirés par les avantages spécifiques de l’EURL.
Conditions préalables à la transformation statutaire SASU vers EURL
Avant d’entamer toute démarche de transformation, l’entrepreneur doit s’assurer que sa structure respecte l’ensemble des conditions légales requises. Cette étape préalable constitue le socle de la réussite de l’opération et détermine sa faisabilité juridique.
Vérification de l’actionnaire unique et des participations minoritaires
La première condition essentielle concerne la structure actionnariale de la SASU. Pour qu’une transformation en EURL soit possible, la société doit être détenue à 100% par un seul et même actionnaire . Cette exigence légale découle de la nature même de l’EURL qui, par définition, ne peut compter qu’un seul associé. Toute participation minoritaire, même symbolique, constitue un obstacle insurmontable à la transformation.
L’actionnaire unique doit également être une personne physique pour bénéficier pleinement des avantages fiscaux de l’EURL, notamment l’option pour l’impôt sur le revenu. Si l’actionnaire est une personne morale, la transformation reste techniquement possible, mais l’EURL sera automatiquement soumise à l’impôt sur les sociétés, limitant l’intérêt de l’opération.
Analyse du capital social minimum de 1 euro et répartition des parts
Le capital social constitue un élément crucial de la transformation. Contrairement à certaines idées reçues, il n’existe pas de montant minimum requis pour le capital d’une EURL, si ce n’est la valeur symbolique d’un euro. Cette flexibilité permet une grande liberté dans la structuration patrimoniale de la future société.
La conversion des actions en parts sociales s’effectue automatiquement lors de la transformation, sans modification de la valeur nominale. Cependant, il convient d’analyser la structure du capital existant pour identifier d’éventuelles complications, notamment la présence de différentes catégories d’actions ou d’instruments financiers complexes qui pourraient compromettre la transformation.
Contrôle des clauses statutaires incompatibles avec le régime EURL
Les statuts de la SASU doivent faire l’objet d’un examen minutieux pour identifier les clauses incompatibles avec le régime juridique de l’EURL. La SASU, caractérisée par sa grande souplesse statutaire , permet des aménagements qui ne sont pas autorisés en EURL, société plus strictement encadrée par le Code de commerce.
Parmi les clauses problématiques figurent notamment les dispositions relatives aux organes de direction multiples, aux pouvoirs spéciaux attribués à certains dirigeants, ou encore aux modalités de prise de décision complexes. Ces éléments devront être supprimés ou adaptés lors de la rédaction des nouveaux statuts de l’EURL.
Évaluation des engagements contractuels en cours avec les tiers
La transformation implique un changement de forme sociale qui peut avoir des répercussions sur les contrats en cours. Il est indispensable d’examiner l’ensemble des engagements contractuels pour identifier ceux qui contiennent des clauses relatives à la forme juridique de la société ou qui pourraient être affectés par le changement de statut du dirigeant.
Les contrats bancaires, les polices d’assurance, les baux commerciaux et les accords commerciaux majeurs doivent être passés au crible. Certains contrats peuvent prévoir des clauses résolutoires en cas de modification de la structure juridique, nécessitant une renégociation préalable à la transformation.
Procédure de dissolution-confusion selon l’article L. 1844-5 du code de commerce
Contrairement aux transformations classiques, le passage d’une SASU à une EURL nécessite une procédure spécifique de dissolution-confusion. Cette approche, moins connue des praticiens, repose sur les dispositions de l’article L. 1844-5 du Code de commerce et présente l’avantage de préserver la continuité juridique de l’entreprise.
Rédaction de la délibération de l’associé unique en assemblée générale extraordinaire
La procédure débute par la convocation d’une assemblée générale extraordinaire, même si l’actionnaire unique est seul décideur. Cette formalité, bien qu’apparemment redondante, revêt une importance juridique capitale. Le procès-verbal de délibération doit mentionner explicitement la décision de dissolution de la SASU et la constitution simultanée d’une EURL.
La délibération doit préciser les motifs de la transformation, la date d’effet souhaitée, et nommer le futur gérant de l’EURL. Cette étape détermine le cadre temporel de l’opération et engage juridiquement l’entrepreneur dans le processus de transformation.
Établissement du bilan de dissolution et du rapport du commissaire aux comptes
Un bilan spécifique doit être établi à la date de dissolution de la SASU. Ce document comptable, distinct du bilan annuel, reflète la situation patrimoniale de la société au moment précis de sa transformation. Il servira de base pour la constitution du patrimoine initial de l’EURL.
Lorsque la SASU dispose d’un commissaire aux comptes, ce dernier doit établir un rapport sur l’opération de dissolution-confusion. Ce rapport atteste notamment que les capitaux propres de la société sont au moins égaux à la moitié du capital social , condition essentielle à la validité de l’opération. En l’absence de commissaire aux comptes, cette formalité n’est pas requise, simplifiant considérablement la procédure.
Publication de l’avis de dissolution dans un journal d’annonces légales
La publicité légale constitue une étape obligatoire pour informer les tiers de la dissolution de la SASU. L’avis, publié dans un journal d’annonces légales du département du siège social, doit mentionner la dénomination sociale, l’adresse du siège, le numéro RCS, ainsi que les modalités de la dissolution.
Cette publication déclenche le délai d’opposition des créanciers, fixé à un mois. Durant cette période, les créanciers peuvent faire opposition à la dissolution s’ils estiment leurs droits compromis. En pratique, ces oppositions demeurent exceptionnelles lorsque la société est solvable et que l’opération ne nuit pas aux intérêts des créanciers.
Dépôt du dossier de dissolution au greffe du tribunal de commerce
Le dossier de dissolution doit être déposé au greffe du tribunal de commerce dans les plus brefs délais. Ce dossier comprend la délibération de l’assemblée générale, les statuts de la société, le bilan de dissolution, et éventuellement le rapport du commissaire aux comptes. L’attestation de publication de l’avis légal complète l’ensemble des pièces requises.
Les frais de greffe s’élèvent actuellement à 192,01 euros pour une radiation d’office. Cette somme, bien que modeste, s’ajoute aux autres coûts de la transformation et doit être intégrée dans le budget global de l’opération.
Constitution simultanée de l’EURL et formalités d’immatriculation
Parallèlement à la dissolution de la SASU, l’entrepreneur doit procéder à la constitution de l’EURL qui prendra le relais de l’activité. Cette étape nécessite le respect de l’ensemble des formalités applicables à la création d’une nouvelle société, tout en préservant la continuité de l’exploitation.
Rédaction des nouveaux statuts EURL conformes au code de commerce
La rédaction des statuts de l’EURL constitue l’une des étapes les plus techniques de la transformation. Ces statuts doivent respecter scrupuleusement les dispositions du Code de commerce relatives aux sociétés à responsabilité limitée, nettement plus contraignantes que celles applicables aux SASU.
Les statuts doivent notamment préciser la dénomination sociale (qui peut être identique à celle de l’ancienne SASU), l’objet social, le siège social, la durée de la société, et le montant du capital social. Les règles de fonctionnement, plus rigides qu’en SASU, doivent être énoncées avec précision pour éviter tout contentieux ultérieur.
Une attention particulière doit être portée aux clauses relatives aux apports en nature, aux modalités de cession des parts sociales, et aux pouvoirs du gérant. Ces éléments, sources fréquentes de difficultés, méritent l’intervention d’un professionnel expérimenté.
Nomination du gérant et définition de ses pouvoirs statutaires
Le gérant de l’EURL, généralement l’ancien président de la SASU, doit être nommé expressément dans les statuts ou par acte séparé. Ses pouvoirs, définis par la loi et les statuts, sont plus encadrés que ceux du président de SASU. Il convient de préciser l’étendue de ses prérogatives, les actes nécessitant une autorisation préalable, et les modalités de sa rémunération.
Le statut du gérant associé unique diffère fondamentalement de celui du président de SASU sur le plan social. Il relève désormais du régime des travailleurs non salariés, avec toutes les conséquences que cela implique en termes de protection sociale et de cotisations.
Dépôt des fonds de capital social chez un notaire ou établissement bancaire
Même si le capital provient de la dissolution de la SASU, les fonds correspondants doivent être déposés chez un dépositaire agréé (banque, notaire, ou Caisse des Dépôts) lors de la constitution de l’EURL. Cette formalité, parfois négligée, est pourtant obligatoire et conditionnée l’immatriculation de la nouvelle société.
Le dépositaire délivre un certificat de dépôt des fonds qui doit être joint au dossier d’immatriculation. Les fonds seront libérés après immatriculation de l’EURL au Registre du Commerce et des Sociétés, permettant à la nouvelle société de disposer immédiatement de sa trésorerie.
Demande d’immatriculation sur le portail unique de l’INPI
Depuis le 1er janvier 2023, toutes les formalités d’immatriculation des sociétés commerciales doivent être effectuées via le portail unique de l’INPI (Institut National de la Propriété Industrielle). Cette dématérialisation simplifie les démarches tout en nécessitant une parfaite maîtrise des procédures numériques.
Le dossier d’immatriculation comprend les statuts signés, la déclaration de souscription et de versement, le certificat de dépôt des fonds, la déclaration des bénéficiaires effectifs, et l’attestation de publication de l’avis de constitution. Les frais d’immatriculation s’élèvent à 37,45 euros pour une EURL.
La réussite de cette étape conditionne la naissance juridique de l’EURL et l’obtention du numéro SIRET indispensable au démarrage de l’activité.
Transfert du patrimoine social et continuité juridique de l’entreprise
L’un des enjeux majeurs de la transformation réside dans le transfert du patrimoine social de la SASU dissoute vers l’EURL nouvellement constituée. Cette opération, techniquement complexe, doit préserver la continuité de l’exploitation tout en respectant les droits des créanciers et les obligations comptables.
Le transfert s’effectue par voie de transmission universelle de patrimoine, mécanisme juridique qui permet le transfert en bloc de l’ensemble des droits et obligations. Cette procédure présente l’avantage considérable d’éviter la liquidation effective des biens et la complexité administrative qui en résulterait. L’EURL devient ainsi propriétaire de tous les actifs de l’ancienne SASU et assume corrélativement l’ensemble des dettes et engagements.
La continuité des contrats constitue un autre aspect crucial de cette étape. La plupart des contrats commerciaux, des baux et des accords de partenariat se poursuivent automatiquement avec l’EURL, sauf clause contraire explicite. Cette continuité contractuelle préserve les relations commerciales établies et évite les ruptures préjudiciables à l’activité. Toutefois, certains contrats intuitu personae ou contenant des clauses spécifiques relatives à la forme sociale peuvent nécessiter une renégociation ou un avenant.
Sur le plan comptable, l’EURL reprend les écritures de la SASU à la date de transformation, sans rupture dans la tenue de la comptabilité. Cette continuité comptable simplifie considérablement la gestion et évite les complications liées à l’établissement d’un bilan de liquidation. Les amortissements, provisions et reports déficitaires sont intégralement transférés, préservant la situation fiscale de l’entreprise.
Implications fiscales de la transformation SASU-EURL selon le régime IR ou IS
La transformation d’une SASU en EURL bouleverse fondamentalement le régime fiscal applicable à l’entreprise et à son dirigeant. Cette modification, souvent sous-estimée, représente pourtant l’un des aspects les plus sensibles de l’opération et nécessite une analyse approfondie des conséquences à court et moyen terme.
Par défaut, l’EURL relève du régime fiscal de l’impôt sur le revenu (IR), contrairement à la SASU qui est automatiquement soumise à l’impôt sur les sociétés (IS). Cette différence fondamentale modifie radicalement la fiscalité de l’entreprise et les modalités d’imposition du dirigeant. En régime IR, les bénéfices de l’EURL sont directement imposés au nom de l’associé unique dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) ou des bénéfices non commerciaux (BNC) selon la nature de l’activité.
Cette transparence fiscale présente des avantages significatifs, notamment l’absence de double imposition sur les bénéfices distribués. Contrairement à la SASU où les dividendes subissent une première imposition au niveau de la société puis une seconde chez l’associé, l’EURL à l’IR évite cette double pénalisation fiscale . L’associé unique peut ainsi disposer librement des bénéfices sans formalité particulière, simplifiant considérablement la gestion financière.
Cependant, l’entrepreneur conserve la possibilité d’opter pour l’impôt sur les sociétés en EURL, choix qui peut s’avérer judicieux dans certaines situations. Cette option, exercée dans les trois mois suivant la constitution ou en début d’exercice, permet de bénéficier du taux réduit de 15% sur les premiers 38 120 euros de bénéfices, sous réserve de respecter certaines conditions de chiffre d’affaires. L’option pour l’IS devient particulièrement attractive lorsque l’entrepreneur souhaite conserver une partie des bénéfices dans la société pour financer son développement.
Les conséquences fiscales de la transformation doivent également être analysées au regard des déficits antérieurs. En cas d’option pour l’IR, les déficits de l’ancienne SASU peuvent être imputés sur les autres revenus de l’associé unique, offrant un avantage fiscal non négligeable. Cette possibilité d’imputation, limitée à 10 700 euros par an depuis 2017, peut accélérer significativement la récupération des pertes passées.
Conséquences sociales pour le dirigeant : passage du régime général vers le RSI
La transformation d’une SASU en EURL entraîne automatiquement un changement radical du statut social du dirigeant, avec des répercussions majeures sur sa protection sociale et le montant de ses cotisations. Ce passage du statut d’assimilé salarié à celui de travailleur non salarié constitue souvent l’une des motivations principales de la transformation, mais nécessite une analyse approfondie de ses implications.
En SASU, le président bénéficie du régime général de la Sécurité sociale en tant qu’assimilé salarié, offrant une protection sociale complète mais coûteuse. Les cotisations sociales représentent environ 80% de la rémunération nette , incluant l’assurance maladie, les allocations familiales, la retraite de base et complémentaire, l’assurance chômage, et la formation professionnelle. Cette couverture étendue garantit une protection optimale mais pèse lourdement sur la trésorerie de l’entreprise.
À l’inverse, le gérant associé unique d’EURL relève du régime social des indépendants (RSI), désormais intégré à la Sécurité sociale pour les indépendants. Ce régime, moins protecteur mais plus économique, génère des cotisations d’environ 45% de la rémunération nette. Cette réduction substantielle des charges sociales libère des ressources importantes pour l’entreprise, permettant soit d’augmenter la rémunération du dirigeant, soit de renforcer la trésorerie.
Les modalités de calcul et de paiement des cotisations diffèrent également sensiblement entre les deux régimes. En SASU, les cotisations sont calculées sur les rémunérations effectivement versées et payées mensuellement via les déclarations sociales nominatives (DSN). En EURL, le système fonctionne sur la base d’appels de cotisations provisionnelles, calculés sur les revenus de l’avant-dernière année, avec régularisation l’année suivante une fois les revenus définitifs connus.
Cette différence de fonctionnement peut créer des décalages de trésorerie importants, particulièrement la première année suivant la transformation. Le gérant d’EURL doit anticiper ces appels de cotisations et prévoir les ajustements nécessaires en fonction de l’évolution de ses revenus. La modulation des acomptes, possible sous certaines conditions, permet toutefois d’adapter les paiements à la réalité économique de l’entreprise.
Sur le plan de la protection sociale, le passage au régime des indépendants implique certaines pertes de droits qu’il convient d’anticiper. L’absence d’assurance chômage constitue la différence la plus marquante, privant le dirigeant de toute indemnisation en cas de cessation d’activité. De même, les indemnités journalières en cas d’arrêt maladie sont plus restrictives et moins généreuses que celles du régime général.
Pour compenser ces lacunes, de nombreux dirigeants optent pour des assurances complémentaires privées, notamment en matière de prévoyance et de retraite supplémentaire. Ces contrats, déductibles fiscalement dans certaines limites, permettent de reconstituer une protection sociale adaptée aux besoins spécifiques du dirigeant. Le coût de ces assurances, bien qu’inférieur aux économies réalisées sur les cotisations obligatoires, doit être intégré dans l’analyse globale de la transformation.
La réussite de la transformation SASU-EURL repose sur une planification rigoureuse et une compréhension précise de l’ensemble des enjeux juridiques, fiscaux et sociaux qui l’accompagnent.
L’impact sur les dividendes mérite également une attention particulière dans ce nouveau régime social. Contrairement à la SASU où les dividendes échappent aux cotisations sociales, l’EURL soumet à cotisations la fraction des dividendes excédant 10% du total constitué par le capital social, les primes d’émission et les apports en compte courant. Cette règle, introduite pour limiter les optimisations, peut réduire l’attractivité de la rémunération par dividendes en EURL.
Les entrepreneurs doivent donc repenser leur stratégie de rémunération globale, en arbitrant entre salaire et dividendes pour optimiser à la fois la fiscalité et les charges sociales. Cette optimisation nécessite une modélisation précise, tenant compte des seuils applicables et de l’évolution prévisible des revenus de l’entreprise. L’accompagnement d’un expert-comptable spécialisé s’avère généralement indispensable pour naviguer dans cette complexité réglementaire.
Enfin, la transformation peut avoir des conséquences sur les droits à retraite du dirigeant, particulièrement en cas de changement de régime en cours de carrière. Les trimestres validés dans chaque régime sont conservés, mais les modalités de calcul des pensions diffèrent entre le régime général et celui des indépendants. Cette différence peut impacter le montant de la retraite future, nécessitant une analyse prospective pour optimiser les stratégies de cotisation et de validation des droits.